Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un reboot du “Règne du Feu” dans lequel d’impitoyables dragons transforment Londres en barbecue.
Non moins brûlante par son actualité en terme de technologies de pointe, il s’agit ici de la reconstitution d’une série de sculptures, pièces maîtresses d’un site classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
Installés en 1762 dans les Jardins Botaniques Royaux à une époque où l’Orient était particulièrement tendance, les dragons de la Grande Pagode disparurent sans laisser de trace en 1780. Si la théorie la plus probable quant à ce mystère met en cause les conditions météorologiques Londoniennes (que leur réputation précède) défavorables à une bonne conservation du bois, d’autres voix s’élèvent facétieusement pour proposer que les colossales dettes de jeu Royales de l’époque avaient bien dû nécessiter un tout aussi spectaculaire remboursement…
Toujours est-il qu’en 2017 et grâce aux techniques de scan 3D, de numérisation et de modélisation, les Dragons de la Grande Pagode de Kew, ramenés à la vie, trônent de nouveau impérialement sur leurs promontoires. Récit.
La reconstitution
Aucun des modèles originaux n’ayant survécu aux ravages du temps, il a fallu redessiner intégralement ce qui servit alors de modèle pour la série de statues. Ce travail aura nécessité l’étroite collaboration d’un Historien, d’un conservateur, d’un artisan et d’un designer qui, se basant sur des peintures, des informations historiques et les statues en porcelaine de Nanjing, ont recréé un modèle inédit de la célèbre créature mythologique, entièrement sculpté dans le bois.
La scannérisation du modèle
Les ingénieurs ont alors digitalisé la sculpture en l’exposant au feu des différents appareils de scan 3D haute définition, puis par la CAO (Conception Assistée par Ordinateur) les détails ont été retravaillés pour un rendu à la hauteur des attentes en termes de qualité de finition et de rendu à l’impression. Un fichier STL des différentes pièces détachées fût créé pour servir de moule à la future série de statues.
Le choix du matériau
Le projet étant d’installer un dragon à chaque angle du toit octogonal de chacun des 10 étages de la pagode, autant dire que le poids de la nouvelle série de décoration constituait un challenge de taille. Dans un souci de sûreté mais également de temps (car il est bien plus rapide d’imprimer une série de sculptures en 3D plutôt que de les sculpter ou de les graver) et après différentes propositions, il fut choisi d’utiliser un thermoplastique léger et durable : le polyamide 12 nylon. Utilisé dans la construction de voitures de formule 1, celui-ci assurera de rester à l’épreuve de l’érosion, qu’elle soit aérienne ou hydrique.
Impression et finition
Des 80 dragons commandés, 72 furent donc imprimés en 3D par la société en charge du projet. Les 8 autres, prévus pour le premier étage et dans de légèrement plus grandes dimensions, reçurent un traitement tout aussi royal puisqu’ils furent sculptés dans du cèdre rouge d’Afrique. La peinture, confiée à des artisans pour qu’elle soit réalisée à la main et offre un rendu le plus authentique possible, s’inspire des observations faites par les tribunes au XVIIIème siècle. Le vert “iridescent” ainsi que les franges d’or répliquée pour un incroyable rendu donnent à la pagode une impression de vie longtemps abandonnée.
Cette seconde jeunesse représentant pour les Jardins Botaniques Royaux la parfaite occasion de redoubler d’éclat auprès des visiteurs, des expositions et activités sur le thème des dragons ont été mises en place, créant un lien particulièrement puissant avec les jeunes générations.
Redonner vie à un monument en revivifiant ses ornements, le meilleur moyen de sensibiliser les jeunes générations au patrimoine ?
C’est la conviction d’Alexis Dejoux, ingénieur chez Digitage, société française spécialisée dans le scan 3D et la numérisation de patrimoine matériel : “ Si la technologie peut aider et faciliter l’éveil intellectuel ainsi que la transmission de savoir, surtout auprès des plus jeunes, en même temps qu’elle participe à la sauvegarde physique du patrimoine ; comment ne pas lui accorder ses plus belles lettres de noblesses ?”, et d’ajouter avec un sourire “Et puis, qui sait, dans l’intérêt de notre propre Histoire, on pourrait bien avoir à recréer des séries de menhirs d’un certain gaulois aux couettes rousses et un peu enrobé…”